Les petits hommes verts
Se retrouver parmi le gratin de la discipline implique toujours une bonne dose d’autodérision. De plus, cela débouche toujours sur une excellente leçon d’humilité, mais surtout cela permet d’apprendre énormément : la preuve par l’exemple.
Lier
Dimanche 29 mai 2016, le club kayak de Lier Anderstadt organise le BK Marathon K1. Le programme ? Du canal et de la rivière douce, le tout sur près de 25 bornes. Les participants ? Tous les gros bras de Flandre : Neerpelt, Kasterlee, Antwerpen, Gent etc. Une leçon de technique. A 11h00, à la « voorvergadering », les organisateurs signale une météo très instable. Il est demandé aux participants, au moindre éclair, de s’arrêter immédiatement, et de ne prendre aucun risque en restant sur l’eau. Quatre départs de prévu entre 12h30 et 14h00. Les vétérans sont prévus à 13h30. Depuis midi la pluie n’a pas cessé et ne cessera plus jusqu’au soir, alternant entre petit crachin et grosses averses. 13h15, nous voilà sur l’eau, petit échauffement. Plus la distance à parcourir est longue plus l’échauffement est court. Le parcours est composé de 5 kilomètres d’un canal large (le Netekanaal), puis une descente sur 6 kilomètres de la Kleine Nete, qui rejoint dans Lier la Grote Nete et former la Nete (ça va ? vous suivez ?) puis retour sur le canal. Deux boucles sont à accomplir plus un petit circuit supplémentaire sur le canal pour faire un petit 25 kilomètres. Quatre francophones présents (et oui, il y a du boulot pour refaire vivre le ‘K’ de côté de la frontière linguistique), un kayakiste de H2O, Carl (Mais notre Carl est-il francophone ? On va dire qu’il est en ‘multimodal’ )et les deux petits hommes verts, Lulu et moi.
Lâcher les fauves
13h32 à la petite montre sur mon bateau, le ‘ready, set, go’ libérateur est lâché. Les ‘furieux’ partent dans un sprint endiablés. Le canal se transforme en jacuzzi maléfique, en piscine à vagues diabolique. Cela secoue dans tous les sens. Je m’accroche comme je peux, les berges sont verticales et cela présage de longues minutes de troubles. Un souvenir de Kasterlee me revient en tête. 10’ d’enfer et puis cela se calme. Il faut tenir. Je m’accroche à proximité de Herman Van Dooren, plus à l’aise que moi sur ces eaux tourmentées, je le vois s’appliquer entre technique pure et de temps à autres un appui salvateur. Pour moi ce sera l’inverse, beaucoup d’appui et je tente de me concentrer. Les paroles d’Yvette et Dominique sont dans l’oreille comme si deux figures d’anges( qui a dit démons ?) tournicotaient autour de ma tête : « appui avec les pieds. Ton équilibre dépend de te pieds ». Quand j’y parviens, cela fonctionne à merveille. Evidemment. Faut-il encore se concentrer et ne pas se laisser envahir par ses troubles et ses tourments internes ? Pas imple. Une longue ligne droite nous attend. J’ai du bien me placer car Carl est derrière moi. Pas pour longtemps : après 500 ou 600 mètres la pointe de son bateau jaune est sur ma vague, pas longtemps non plus, Carl saute sur la vague de Herman. Les ‘furieux’ commencent à prendre de la distance. Une longue courbe gauche et large virage gauche nous attend. Mais les vagues ne semblent pas se calmer. L’équilibre reste compliqué. Concentration obligatoire.
Merci Paul
L’environnement est assez vert. Le ville fondée par Saint-Gommaire, qui aurait fondé un chapitre en ces lieux au Xième siècle, jouit d’une qualité de vie surprenante. Entre les bâtiments classés de sa Grand’place, la Tour Zimmer (et son horloge indiquant l’heure et le cosmos, offerte par Louis Zimmer pour les cent ans de la Belgique en 1930), et sa collégiale, cette ambiance calme et consciente de son patrimoine se répand sur sa banlieue verte et agréable. Pas beaucoup de temps pour s’attarder à cet entourage. Pagaies, pagaies, pagaies…. Une courbe à droite, passage sous le pont du chemin de fer et je vois un kayakiste loin devant qui plonge sur la gauche. Je plonge vers la berge pour suivre sa trace. Paul Rombout est sur la berge. A vélo, il m’encourage et m’indique l’endroit où sortir et le trajet à suivre pour le portage. Dank U Paul. La berge est couverte d’un joli tapis bleu, chouette pour protéger nos bateaux. Cette petite darse abrite quelques yachts resplendissants. Sortie du bateau, grimper dans l’herbe, et petite course à pied sur le halage.
La Nete (prononcez Nééééte)
L’organisateur signale les deux échelles à descendre pour rejoindre la Nete et partir dans le bon sens, avec le courant. La Nete subit l’influence des marées. L’heure de la course est étudiée pour que nous puissions descendre avec le courant. En arrivant avant la réunion pré-course du matin, la rivière coulait…dans l’autre sens !!! C’est toujours surprenant à voir. J’embarque, et la descente débute en douceur, pas de vagues, juste un léger courant. Les berges sont bien vertes. L’inversion de marée a dû se produire récemment. Dès les premiers virages quelques marmites se laissent voir. Une première pour moi : passer à travers ce genre de remous qui remontent du fond comme des bulles qui éclatent en surface, en K1. Le bateau est tendu et cela passe relativement bien. Je force sur les pieds pour faire passer le stress. Technique, concentration et respiration : n’oublies pas d’expirer, idiot. Les méandres tournicotent à travers la nature. Les premières maisons apparaissent après une dizaine de minutes. Nous longeons les anciennes enceintes de la ville, avant de repartir dans la douce campagne. La descente ne pose pas trop de soucis. De temps à autres un petit appui pour récupérer le bateau perturbé par l’eau troublée, et un petit passage plus rapide. La seule difficulté est l’arrivée au second portage. Emportez par le courant, je rate la première échelle. Chance la deuxième est la bonne. La pluie est toujours présente, mon T-shirt vert (d'où le titre de ce compte-rendu) du SKC est gorgé d’eau et ressemble à de plus en plus à une mini-robe. Encore un truc à apprendre, la technique de sortie, de course et de remise à l’eau lors d’un portage. Il y a du boulot. Et il doit y avoir moyen de gagner plein de temps là-dessus. Je cours au petit trot. Le corps le permet encore. Retour vers le canal et embarquement facile. Ce canal reste perturbé. On est en contrebas de la ligne de départ et reparti pour le deuxième tour. Et les vagues sont toujours présentes. Finalement le trajet sur canal est plus compliqué à gérer que la descente de la Nete. Pas le choix, l’effort reprend. Au loin un kayak blanc me sert toujours de « viseur ». Paul Rombout est revenu à vélo le long du canal. Il lance un sympathique « Allez Jaco, je bent goed bezig ». Sympa !
Quelle jeunesse !
Mais il n’a pas vu que 5 minutes avant, je m’étais fait doublé par une jeune de Neerpelt. Je n’ai que le temps de voir son numéro, le « 86 ». Cette jeune fille est Hanna Plas de Neerpelt qui courre en Junior. Nous devons avoir parcouru +/- 14 kilomètres, cela fait 1h15 que je pagaie et Hanna est partie…30 minutes après moi. Sur la même distance, j’ai mis 1h15 et elle a mis : 45 minutes !!! Impressionnant. On dirait une danseuse étoile sur la piste du Bolchoï. Quel spectacle! On en a des choses à apprendre. Je reprends mon rythme cadencé. Ce canal reste compliqué à maitriser. La fatigue s’accumule et les petites erreurs se paient par de grandes frayeurs. Mais on tient le coup ! Le kayakiste devant moi, le numéro « 77 », mouline rapidement. Je tente de ne pas faire comme lui. Concentration sur chaque mouvement pour essayer de pagayer « propre ». Au fur à mesure des derniers kilomètres sur ce canal, je le rattrape. Peu avant le portage, je le double et il prend ma vague. Nous sortons quasiment en même temps. Et je vois ce concurrent détaler comme un lapin. Wouaw, il a de sacrées jambes le bonhomme. Le temps d’arriver à la Nete et me voilà avec quelques centaines de mètres de retard. Et hop redescente, le niveau à légèrement baisser en une heure, les premières traces grisâtres apparaissent sur les berges. Si ce n’est la terre charriée par les nombreuses pluies, l’eau semble de très bonne qualité. J’essaie de « lire » la rivière, cela me fait penser à certains tronçons de la Dordogne l’année dernière. Chercher où prendre le maximum de courant sans se laisser déstabiliser ni drosser sur les bords. L’exercice est intéressant, tout en essayant de garder une technique pas trop mauvaise malgré la fatigue qui s’installe vraiment. Au bout des 6 kilomètres je rattrape à nouveau le kayakiste. Il débarque et j’arrive parfaitement à la première échelle. Hop, j’arrive à trottiner. Je ne perds pas trop de retard.
Coincé…comme un bleu.
Mais à l’embarquement, il me prend encore 100 ou 200 mètres. Il reste plus ou moins 3 kilomètres sur le canal avec dernière boucle à une bouée. Je reprends mon rythme avec le « 77 » dans le viseur. La bouée arrive, demi-tour facile (Engreux et ses nombreux 180°, a porté ses fruits), et je jette toutes mes forces pour rattraper le « 77 ». Il reste 500 mètres, je suis dans son sillage, je tente de le dépasser par la gauche, il me sent venir et se déporte également sur la gauche pour m’écarter. Je ralenti, reprends son sillage sur 10 mètres et plonge à droite pour essayer de passer entre la berge et lui. Le « 77 » est un vieux briscard ! Et bardaf, il me coince dans la berge. Il reste 50 mètres, trop tard, je ne pourrai plus le remonter.. Les bras sont épuisés, et libérés par le coup de corne final ! La tête est vide mais heureuse, je n’ai qu’un réflexe : aller féliciter le « 77 ». C’était une belle bagarre.
Lier était vraiment une magnifique expérience. On est dans le cadre de la compet’, et la lutte est sans merci, mais quel cadre, quel plaisir de pouvoir se frotter, (bon OK, regarder leurs dos au départ) aux meilleurs de Flandre (de Belgique donc). Quel apprentissage. Bravo et merci au club organisateur. Et vivement l’année prochaine.
Pour les résultats, c’est ici :
http://www.liersekayakclub.be/lkca/wp-content/uploads/2015/11/LKCA-BK-Marathon-2016-Uitslag.pdf Pour les photos : faites par le LKCA :
http://www.liersekayakclub.be/lkca/fotos/https://www.facebook.com/1489457501332424/photos/?tab=album&album_id=1725862067691965et quelques prises personnelles :
https://www.flickr.com/gp/132078890@N02/u9j80m