La vie ne tient parfois qu’à… un kayakiste.
L’ambiance de la « Buvette » a été bien plombée par le départ de Fabienne. C’est bien naturel. Sa disparition nous ramène aussi au sens de la vie. Son jeune âge et sa lutte contre la maladie nous renvoie à notre perception de la mort voire à notre propre fin de vie. Cela génère un questionnement philosophique auquel chacun trouvera, peut-être, une réponse par la réflexion, par la lecture, par la science, etc. Bref, et à titre personnel, si je ne devais retenir qu’une chose de cette triste nouvelle, c’est « carpe diem » : profitons de chaque jour. En pensant à Fabienne, j’espère de tout cœur qu’elle a pu en profiter au maximum.
Chaque réveil est un cadeau. La vie peut basculer très vite, et la Grande Faucheuse n’est jamais loin même lors d’évènement anodin. L’expérience vécue ce mardi 4 juillet en est l’exemple parfait. Terminant un entrainement par intervalles, le cœur et les muscles largement dans la zone rouge, du coin de l’œil je vois un pêcheur qui gesticule, sur la rive droite du canal. Je ralentis et me dirige vers lui.
Le regard angoissé, en deux mots il m’explique que sur l’autre rive, un peu plus loin, un vieil homme vient de tomber à l’eau et n’arrive pas à remonter sur la berge. Il est accompagné d’un jeune gamin resté sur la berge. Le temps de traverser le canal et de sprinter vers l’homme en difficulté, je découvre en effet le vieil homme totalement affaibli accroché à la « marche » constitué d’un grillage qui enrobe de gros cailloux. Cette marche qui longe le canal sur une bonne partie de sa longueur permet de briser les vagues générée par les péniches ou les plaisanciers. Elle est haute de 25 ou 30 centimètres, mais le vieux pêcheur est à bout de force et boit plusieurs tasses. Ses doigts sont crispés à travers le grillage.
La seule solution que j’imagine est de sortir de mon K1 et d’aller tirer le vieil homme depuis la berge. Je sors de mon kayak à cette marche grillagée, je pose mon kayak au-dessus de la berge un mètre plus haut et me précipite chez le malheureux. Le gamin est tout perdu et ne sait pas quoi faire. Pour le calmer je lui balance une vanne débile : « ton grand-père regardait une jolie fille qu’il est tombé à l’eau ? » Le môme sourit. Je lui dis de bien rester sur la berge en attendant que je remonte son papy.
J’agrippe le vieux qui n’en peut plus. Je le tire, le soulève et le roule sur cette marche large de 20 centimètres. Je le calme. Il tremble de tout son corps. La chute, la courte nage et la fatigue à tenter de remonter ont méchamment entamé les réserves du bonhomme. Nous sommes à deux sur cette marche, je le maintiens fermement pour qu’il puisse un peu récupérer avant d’entamer la seconde épreuve : remonter au-dessus de la berge raide et en terre, avec très peu de prise. Entretemps, je vois avec lui s’il n’est pas blessé. Les articulations sont OK, pas de coupures, juste une égratignure au doig et… une chaussure de perdue qui flotte sur l’eau un peu plus loin. Bonne nouvelle.
Sans trop attendre je le fais se retourner, ventre contre la berge. Je lui dit que je vais lui servir d’escalier. Il va devoir poser ses pieds sur mes mains, mes cuisses et puis je pourrai lentement le pousser jusqu’au dessus de la berge. Il s’arcboute et jette ses dernières forces dans cette épreuve. Dès qu’il se contracte, j’en profite pour le soulever et le pousser aussi fort que je peux. En trois temps, il aura réussi à grimper et à se rouler sur le sommet. Je le soulève une dernière fois, le gamin est allé chercher un fauteuil de camping qu’ils avaient apporté pour pêcher. Le vieux s’assied, épuisé, son regard en dit long.
Je taquine le môme pour le rassurer et dédramatiser la situation. Je lui demande de ranger toutes les affaires de pêche dans la voiture de son grand-père. Il fait cela avec application. Il ne doit pas avoir plus de 7 ans le mouflet. Le vieux recouvre ses esprits. Il semble récupérer assez bien. Son GSM était dans sa poche..trempé ! Si en rando, j’ai toujours mon GSM, quelques euros, une couverture de survie, une bouteille d’eau et une grignote, ici à l’entrainement, à part mon T-shirt et mon short, je suis sans rien. Je propose au vieux de revenir ¼ d’heure plus tard avec des secours ou un médecin. Il refuse. Il reprend des couleurs et me dit qu’il va rentrer chez lui avec son petit-fils. J’insiste plusieurs fois mais il persiste à vouloir rentrer par lui-même. Comme il se lève tout seul et qu’il commence à se diriger vers son auto, je le laisse faire pour voir comment il se débrouille. Tant qu’il est debout, et pour voir s’il est capable de conduire, je lui demande de me raconter ce qu’il s’est passé.
Dans l’herbe au-dessus de la berge, il y a de nombreux trou, il n’a pas fait attention et il a glissé dans l’un d’eux. Il a basculé dans l’eau sans s’en rendre compte. Le bonhomme a eu une double chance. Premièrement de ne rien toucher en tombant dans l’eau. A l’endroit où il se trouvait, le bord est en béton. Il aurait facilement pu se fracasser le crâne. Et secundo, sans l’arrivée d’un kayakiste, combien de temps aurait-il pu encore tenir avant de se noyer ? (horreur supplémentaire, sous les yeux de son petit-fils) Même si l’autre pêcheur aurait pu appeler les secours, combien de temps auraient-ils mis pour venir en aide au malheureux sur ce bout de canal entre Anderlecht et Ruisbroek ? Je quitte mon vieux pêcheur et son petit fils non sans avoir été repêcher sa deuxième godasse.
En remontant dans mon K1, je remercie en moi-même, mille fois Lulu pour ses nombreux exercices de sécurité. Apprendre à descendre et à remonter dans son bateau dans toutes les situations est un élément de sécurité primordiale. Cela donne une confiance en soi formidable et ici, cela a permis de gagner un temps précieux pour récupérer le malheureux pêcheur. En retournant vers le CRB Aviron, c’est aussi vers Fabienne que mes pensées se tournaient. La vie ne tient vraiment qu’à peu de chose… Profitons-en!